Soutiens-gorge rembourrés pour fillettes, obsession de la minceur, banalisation de la chirurgie esthétique, prescription insistante du port de la jupe comme symbole de libération : la " tyrannie du look " affirme aujourd'hui son emprise pour imposer la féminité la plus stéréotypée. Décortiquant presse féminine, discours publicitaires, blogs, séries télévisées, témoignages de mannequins et enquêtes sociologiques, Mona Chollet montre dans ce livre comment les industries du " complexe mode-beauté " travaillent à maintenir, sur un mode insidieux et séduisant, la logique sexiste au coeur de la sphère culturelle.
Sous le prétendu culte de la beauté prospère une haine de soi et de son corps, entretenue par le matraquage de normes inatteignables. Un processus d'autodévalorisation qui alimente une anxiété constante au sujet du physique en même temps qu'il condamne les femmes à ne pas savoir exister autrement que par la séduction, les enfermant dans un état de subordination permanente. En ce sens, la question du corps pourrait bien constituer la clé d'une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans, de la lutte contre les violences à celle contre les inégalités au travail.
Le foyer, un lieu de repli frileux où l'on s'avachit devant la télévision en pyjama informe ? Sans doute. Mais aussi, dans une époque dure et désorientée, une base arrière où l'on peut se protéger, refaire ses forces, se souvenir de ses désirs. Dans l'ardeur que l'on met à se blottir chez soi ou à rêver de l'habitation idéale s'exprime ce qu'il nous reste de vitalité, de foi en l'avenir.
Ce livre voudrait montrer la sagesse des casaniers, injustement dénigrés. Mais il explore aussi la façon dont ce monde que l'on croyait fuir revient par la fenêtre. Difficultés à trouver un logement abordable, ou à profiter de son chez-soi dans l'état de « famine temporelle » qui nous caractérise. Ramifications passionnantes de la simple question : « Qui fait le ménage ? » ; persistance du modèle du bonheur familial, alors même que l'on rencontre des modes de vie bien plus inventifs...
Autant de préoccupations à la fois intimes et collectives, passées ici en revue comme on range et nettoie un intérieur empoussiéré : pour tenter d'y voir plus clair et de se sentir mieux.
À quoi renvoie le « Q » qui complète désormais le plus souvent les quatre lettres du traditionnel sigle LGBT ? « Queer » : est-ce une identité de genre ? une orientation sexuelle ? un mouvement politique ? une théorie académique ?
Alors que l'on voit depuis quelques années le terme « queer » fleurir sur les pancartes lors des Marches des fiertés et se multiplier dans les ouvrages théoriques portant sur le genre et la sexualité ou encore dans les mots des activistes féministes, cet ouvrage entend aider les lecteurs et lectrices à y voir plus clair dans ce vaste champ des études et mouvements queers. Politiques des identités, rôles de genre, privilèges, exclusion, performance, normativité, liens entre sexualité, identité de genre, race et classe, influence de la pop culture...Queer Theory, une histoire graphique revient sur les concepts clés, les penseurs et penseuses les plus importantes - souvent peu connues du lectorat francophone -, les débats emblématiques et les événements historiques qui ont participé à l'émergence et la construction de la théorie queer.
Engagé et drôle, ce livre à mi-chemin entre l'essai et la bande dessinée est un portrait unique de l'univers de la pensée queer, depuis sa naissance jusqu'à ses développements les plus actuels.
Vers 1800, la plupart des Français étaient des paysans, qui construisaient eux-mêmes leur maison, récoltaient leurs céréales, pétrissaient leur pain et tissaient leurs vêtements. Aujourd'hui, l'essentiel de ce que nous consommons est produit par un réseau de grandes et lointaines entreprises. En deux siècles à peine, la communauté paysanne autarcique s'est effacée pour laisser place à une myriade de consommateurs urbains et connectés.
Cet ouvrage retrace les grandes étapes de cette conversion à la consommation. Comment s'est constitué le pouvoir marchand ? Quels changements sociaux ont accompagné la circulation massive des marchandises ?
En parcourant l'Europe et l'Amérique du Nord des XIXe et XXe siècles, ce livre fait l'histoire de multiples dispositifs de marché : la marque insuf?ant à la marchandise sa valeur-signe, les mises en scène inventées par les grands magasins, l'ingénierie symbolique déployée par les relations publiques et la publicité... Il raconte la conversion des populations à la consommation et la fulgurante prise de pouvoir des marchands.
« La génération actuelle de révolutionnaires du management considère l'éthos artisanal comme un obstacle à éliminer. On lui préfère de loin l'exemple du consultant en gestion, vibrionnant d'une tâche à l'autre et fier de ne posséder aucune expertise spécifique. Tout comme le consommateur idéal, le consultant en gestion projette une image de liberté triomphante au regard de laquelle les métiers manuels passent volontiers pour misérables et étriqués. Imaginez à côté le plombier accroupi sous l'évier, la raie des fesses à l'air. » Matthew B. Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un think tank à Washington. Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir. un atelier de réparation de motos. À partir du récit de son étonnante reconversion, il livre dans cet ouvrage intelligent et drôle une réflexion particulièrement fine sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés occidentales.
Mêlant anecdotes, récit, et réflexions philosophiques et sociologiques, il montre que ce « travail intellectuel », dont on nous rebat les oreilles, se révèle pauvre et déresponsabilisant. À l'inverse, il restitue l'expérience de ceux qui, comme lui, s'emploient à fabriquer ou réparer des objets - dans un monde où l'on ne sait plus qu'acheter, jeter et remplacer. Le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d'un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l'« économie du savoir ».
FéminiSpunk est une fabulation à la Fi? Brindacier, qui raconte l'histoire, souterraine et infectieuse, des petites ?lles ayant choisi d'être pirates plutôt que de devenir des dames bien élevées. Désirantes indésirables, nous sommes des passeuses de contrebande. Telle est notre ?ction politique, le récit qui permet à l'émeute intérieure de transformer le monde en terrain de jeu. Aux logiques de pouvoir, nous opposons le rapport de forces. À la cooptation, nous préférons la contagion. Aux identités, nous répondons par des af?nités. Entre une désexualisation militante et une pansexualité des azimuts, ici, on appelle " ?lle " toute personne qui dynamite les catégories de l'étalon universel : meuf, queer, butch, trans, queen, drag, fem, witch, sista, freak... Ici, rien n'est vrai, mais tout est possible. Contre la mascarade féministe blanche néolibérale, FéminiSpunk mise sur la porosité des imaginaires, la complicité des intersections, et fabule une théorie du pied de nez. Irrécupérables !
Les crises écologiques multiples frappent avec une intensité croissante les écosystèmes, les groupes humains et non humains. Sous la pression du temps qu'elles gaspillent et des intérêts dominants qui les orientent, les sociétés mettent en péril leur propre survie et l'habitabilité de la planète. Il est donc impératif d'assumer le défi d'un grand virage écologique émancipateur.
Se croisent ici, avec rigueur et clarté, des approches issues des sciences sociales et des sciences de la nature, pour éclairer les processus qui précipitent les dévastations du vivant et exacerbent les inégalités. Sont aussi explorées les manières désirables et réalistes de prévenir, d'atténuer, d'empêcher les désastres mais aussi de vivre mieux.
Ce livre porte la voix des écologies qui oeuvrent à une véritable critique des dominations et du statu quo. Deux approches sont articulées : l'une, intersectionnelle et anticapitaliste, ancrée dans la dynamique des mobilisations sociales ; l'autre, plus attentive aux liens que les sociétés humaines tissent avec le vivant non humain. Écoféminismes, extractivisme, racisme environnemental, politiques publiques, finance verte, cause animale ou droits de la nature sont autant de sujets décisifs abordés avec lucidité.
Près de 70 contributions thématiques de scientifiques, de philosophes, de journalistes et d'activistes, très accessibles et documentées, accompagnées de lexiques et ressources bibliographiques, pour saisir l'ampleur des défis auxquels se confrontent les écologies contemporaines.
Depuis quelques années, les entreprises semblent enfin s'attaquer aux discriminations envers les femmes. Les inégalités femmes/hommes seraient en effet responsables d'un manque à gagner abyssal pour l'économie, et les entreprises dont les conseils d'administration ou les comités de direction s'ouvrent davantage aux femmes seraient plus performantes. Il faut donc agir, et vite !
De grandes dirigeantes du monde des affaires ou de la politique expriment ainsi publiquement un engagement féministe, tandis que les multinationales comme les start-up s'affichent en pionnières de cette lutte en proposant formations à l'empowerment destinées aux femmes, marketing reprenant slogans et symboles féministes, communication axée sur la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, ou encore politiques dites de diversité...
Ce nouveau féminisme qui emprunte au marché sa logique et son vocabulaire est celui offert par le capitalisme néolibéral aux femmes aspirant à " briser le plafond de verre ". Mais cette égalité qui vise avant tout à nous rendre plus compétitives et à nous mettre en concurrence est-elle désirable ? En abordant le féminisme sous l'angle du développement personnel ou de la logique entrepreneuriale, ne risquons-nous pas d'en affaiblir sa capacité à révolutionner la société ? Face à la tentative de récupération de nos souhaits d'égalité et d'émancipation, cet essai tente de hacker l'algorithme du féminisme néolibéral.
Nous manquons, aujourd'hui en Europe, d'un projet écologiste capable de résister aux politiques d'étouffement, dans un monde de plus en plus irrespirable.
D'un projet initié dans les quartiers populaires, qui y articulerait en?n l'ancrage dans la terre et la liberté de circuler.
D'un projet dont le regard serait tourné vers l'Afrique et qui viserait à établir un large front internationaliste contre le réchauffement climatique et la destruction du vivant. D'un projet qui ferait de la Méditerranée un espace autonome et un point de ralliement des mutineries du Nord comme du Sud.
D'un projet se donnant comme horizon à la fois la libération des terres, la libération animale et l'égale dignité humaine, fondamentalement liées.
D'un projet assumant la sécession face à des forces d'extrême droite toujours plus menaçantes.
D'un projet permettant de prendre le large en quête du One Piece, le fameux trésor du manga éponyme, devenu symbole, dans les quartiers populaires, de la soif de liberté qui y gronde.
D'un projet qui se mettrait à hauteur d'enfants et chercherait leur bien-être et leur libération.
Ce projet, c'est celui de l'écologie pirate.
Dans cet essai désormais classique pour les recherches féministes, les études genre, les études gaies et lesbiennes, et fondateur de la théorie queer, Judith Butler cherche à identifier les tactiques, locales, pour subvertir l'hétérosexualité obligatoire en exploitant les failles de ce régime politique. En jetant le trouble dans nos catégories fondamentales de pensée et d'action, elle explore une voie nouvelle où la subversion des normes hétérosexuelles peut devenir une façon de dénaturaliser ces mêmes normes, de résister au pouvoir pour, finalement, ouvrir le champ des vies possibles.
Objet de fantasme sur le « vrai » peuple de la « France oubliée » ou de dégoût au sujet des prétendus « beaufs » racistes et ignorants, les campagnes en déclin nourrissent bien des cli-chés. Mais qui sont les jeunes hommes et femmes qui y font leur vie ?
Si bon nombre d'entre eux rejoignent les villes pour les études, d'autres restent, souvent faute de ressources. Ceux-là tiennent néanmoins à ce mode de vie rural et populaire dans lequel « tout le monde se connaît » et où ils peuvent être socialement reconnus. Qu'ils soient ouvriers, employés ou chômeurs, ils font la part belle à l'amitié et au travail et se montrent soucieux d'entretenir une « bonne réputation ». Comment perçoivent-ils alors la société qui les entoure ? À qui se sentent-ils opposés ou alliés ?
À partir d'une enquête immersive de plusieurs années dans le Grand-Est, Benoît Coquard plonge dans la vie quotidienne de ces jeunes femmes et hommes. À rebours des idées reçues, il montre comment, malgré le chômage, la lente disparition des services publics, des usines, des associations et des cafés, des consciences collectives persistent, sous des formes fragilisées et con?ictuelles. Une plongée passionnante dans le monde de celles et ceux que l'on entend peu, ou que l'on écoute mal.
On la dit laide, revêche, frigide, avare, aigrie, ennuyeuse et ennuyée. On l'imagine avec ses chats, ses pelotes de laine et sa solitude. Parce qu'elle n'a pas eu la chance de trouver un mari ou de faire des enfants, la vieille fille représente un échec. Elle est celle qui n'a pas joué ou qui a perdu au jeu de l'amour. Elle est ce que l'on ne souhaite pas aux jeunes filles de devenir, une image épouvantail.
Pourtant, la vieille fille a-t-elle vraiment un destin aussi peu enviable?? Lui a-t-on d'ailleurs demandé son avis?? Et si la vieille fille ne racontait finalement pas tant sa propre condition qu'elle ne tendait un miroir à celles qui ont eu la chance de ne pas connaître ce sort honteux?? Si elle était plutôt celle qui échappe aux carcans, à la surveillance, aux loyautés et aux alliances impossibles à défaire, à l'espace et au temps constamment partagés??
Journaliste, Marie Kock est aussi ce qu'on appelle une « vieille fille ». Mêlant récit personnel, pop culture et études sociologiques, Vieille fille formule une hypothèse : qu'il est possible d'inventer d'autres manières de vivre, pour soi et avec les autres, de trouver l'amour ailleurs, autrement. D'avoir, simplement, envie d'autre chose.
À l'heure de l'urgence climatique, les ultra-riches ont mauvaise presse. Des trajets Paris-Londres en jets privés de Bernard Arnault au tourisme spatial de Jeff Bezos, les modes de vie carbonifères des élites économiques sont de plus en plus pointés du doigt. Les actions symboliques, les rapports et les articles de presse se multiplient pour dénoncer leur escapisme. À l'image de ces milliardaires qui, en pleine crise Covid, envoyaient des selfies depuis leurs ranchs en Patagonie ou leurs îles privées aux Caraïbes, les ultra-riches sont accusés de fuir leurs responsabilités.
Or, loin d'être des observateurs passifs et détachés ou des preppers haut de gamme, les élites économiques sont des acteurs clés du débat climatique international. Elles sont les promoteurs acharnés du capitalisme vert, un projet politique taillé sur mesure et qui garantit leurs intérêts de classe dans un monde en surchauffe.
Ce livre est le premier à en exposer non pas uniquement les mots d'ordre (qui sont déjà assez connus), mais les ressorts, et en particulier les réseaux d'acteurs (ONG, fondations, think-tanks, cabinets de conseil et autres lobbyistes) qui, au cours des vingt dernières années, ont imposé le capitalisme vert - et les élites qui le soutiennent - comme unique issue « réaliste » face à la crise climatique en cours.
L'idéologie libérale règne désormais sans partage. Elle triomphe au nom d'une liberté dont les apôtres du système ont inversé le sens, depuis que sont tombées, avec la chute du mur de Berlin, les illusions des doctrines " libératrices ". Pourtant, partout dans le monde, l'espoir d'une émancipation enfouie sous les discours idéologiques se réveille aujourd'hui. Comment interpréter ce paradoxe ? De quels possibles cet espoir est-il porteur ? Répondre à ces questions implique de revenir sur l'histoire longue afin de comprendre comment le sens actif du mot " liberté " s'est trouvé effacé par les idéologues.
C'est ce qu'entreprend Michèle Riot-Sarcey dans ce livre. Poursuivant l'enquête du Procès de la liberté (2016), où elle avait montré le bâillonnement du principe espérance au XIXe siècle, elle démonte l'ensemble des dispositifs d'entrave au pouvoir d'agir des individus au XXe siècle. De l'affaire Dreyfus à Mai 68, du mouvement ouvrier américain à la constitution des Internationales et la confiscation des expériences ouvrières par les avant-gardes, de l'insurrection espagnole en 1936 à la mise en ordre de la pensée structurale, de la catastrophe d'Hiroshima aux luttes anticoloniales, l'historienne analyse les processus par lesquels le sujet libre, à chaque moment décisif, s'est trouvé effacé au profit de visions totalisantes.
Mais l'idée authentique régulièrement se ranime et fait retour dans les lieux les plus inattendus. En analysant le fonctionnement d'une élaboration théorique figée, ce livre donnera des arguments aux lecteurs décidés à faire usage d'une liberté critique menacée. Il contribuera ainsi à rendre le réel de l'utopie plus vivant que jamais.
Écoféminisme : le mot, longtemps peu connu en France, suscite désormais un grand intérêt. Il fait également l'objet de critiques. Des féministes s'inquiètent d'un amalgame des femmes et de la nature, et du risque d'essentialisme qu'il comporte. Des écologistes ne voient pas pourquoi les femmes seraient plus portées à s'occuper d'une écologie qui est l'affaire de tous.
On peut parler d'écoféminisme là où se rencontrent luttes écologiques et luttes des femmes, un peu partout dans le monde. Ces mouvements sont tellement divers qu'il est impossible de leur attribuer une doctrine unique. Mais ils ne sont pas le fruit du hasard : ils répondent à la double oppression qui frappe les femmes et la nature. Enquêter sur ces mouvements conduit à étudier le cadre culturel et historique de cette double oppression. Les trois domaines concernés sont la nature, le social et la politique. Faire d'une association positive des femmes à la nature un objet de revendication et de lutte politique est au coeur de toutes les formes d'écoféminisme.
On sait que le capitalisme au XXIe siècle est synonyme d'inégalités grandissantes entre les classes sociales. Ce que l'on sait moins, c'est que l'inégalité de richesse entre les hommes et les femmes augmente aussi, malgré des droits formellement égaux et la croyance selon laquelle, en accédant au marché du travail, les femmes auraient gagné leur autonomie. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder ce qui se passe dans les familles, qui accumulent et transmettent le capital économique a?n de consolider leur position sociale d'une génération à la suivante. Fruit de vingt ans de recherches, ce livre analyse comment la société de classes se reproduit grâce à l'appropriation masculine du capital. Les autrices enquêtent sur les calculs, les partages et les con?its qui ont lieu au moment des séparations conjugales et des héritages, avec le concours des professions du droit. Des mères isolées du mouvement des Gilets jaunes au divorce de Jeff Bezos et MacKenzie Scott, des transmissions de petites entreprises à l'héritage de Johnny Hallyday, les mécanismes de contrôle et de distribution du capital varient selon les classes sociales, mais aboutissent toujours à la dépossession des femmes.
Derrière les façades de luxueux immeubles parisiens, les immenses grilles de châteaux, les baies vitrées de vastes villas de la Côte d'Azur, se cache un personnel invisible mais présent quotidiennement au service des grandes fortunes. Gouvernantes, majordomes, femmes de chambre et de ménage, lingères, nannies, cuisiniers ou chauffeurs travaillent du matin au soir, et souvent la nuit, pour satisfaire les besoins et désirs des millionnaires qui les emploient à leur domicile.
En s'appuyant sur une enquête immersive de plusieurs années, ce livre lève le voile sur les relations quotidiennes entre ceux qui servent et ceux qui sont servis. Ce faisant, il éclaire les ressorts d'une cohabitation socialement improbable, faite de domination et de résistances. Elle-même prise dans ces relations, en travaillant un temps comme domestique, Alizée Delpierre montre comment une certaine « exploitation dorée » peut faire rêver des femmes et des hommes qui y voient une réelle opportunité d'ascension sociale. Du côté des grandes fortunes, déléguer toutes les tâches ingrates demeure essentiel pour consolider leur pouvoir et jouir à plein de leur capital. Elles sont prêtes à tout pour fidéliser leurs domestiques et conserver ce privilège de classe, pour le meilleur comme pour le pire.
Alors que plus de 90 % du volume de marchandises produites dans le monde transitent chaque année par la mer, le transport maritime demeure un univers largement méconnu. Comment s'organisent ces flux de marchandises ? Que se passe-t-il sur ces géants de la mondialisation que sont les navires de commerce ? Qui y travaille, comment, et à quel prix ?
À partir d'une enquête ethnographique, cet ouvrage propose de découvrir l'envers de l'acheminement des biens que nous consommons et de saisir le travail mondialisé " par le bas ". Tandis que les profondes transformations qui ont affecté le secteur ces dernières années ont instauré une rationalisation extrême, commandée par la logique marchande, ce qui faisait le sel de la vie de marin semble s'être réduit comme peau de chagrin. Dans ce huis clos de la mondialisation, le collectif de travail doit répondre à des injonctions contradictoires : assurer la sécurité de tous tout en transportant davantage et en flux continu, garantir des formes de solidarité malgré les inégalités de statut et de rémunération. Selon les situations, les identités de classe, de race et de genre se font et se défont, sans pour autant donner lieu à une remise en cause des hiérarchies sociales - il en va de la paix sociale à bord.
Si l'accélération constitue le problème central de notre temps, la résonance peut être la solution. Telle est la thèse du présent ouvrage, lequel assoit les bases d'une sociologie de la « vie bonne » - en rompant avec l'idée que seules les ressources matérielles, symboliques ou psychiques suffisent à accéder au bonheur.
La résonance accroît notre puissance d'agir et notre aptitude à nous laisser « prendre », toucher et transformer par le monde. Soit l'exact inverse d'une relation instrumentale et « muette », à quoi nous soumet la société moderne. Car en raison de la logique de croissance et d'accélération de la modernité, nous éprouvons de plus en plus rarement des relations de résonance. De l'expérience corporelle la plus basique aux rapports affectifs et aux conceptions cognitives les plus élaborées, la relation au monde prend des formes très diverses : la relation avec autrui ; la relation avec une idée ou un absolu ; la relation avec la matière ou les artefacts.
Tout en analysant les tendances à la crise - écologique, démocratique, psychologique - des sociétés contemporaines, cette théorie de la résonance renouvelle de manière magistrale le cadre d'une théorie critique de la société.
Alors que tout pousse vers une uni?cation sans précédent de la planète, le vieux monde des corps et des distances, de la matière et des étendues, des espaces et des frontières, persiste en se métamorphosant. Avec le devenir-arti?ciel de l'humanité et son pendant, le devenir-humain des machines, une sorte d'épreuve existentielle est donc engagée. L'être ne s'éprouve plus désormais qu'en tant qu'assemblage indissociablement humain et non humain. La transformation de la force en dernier mot de la vérité de l'être signe l'entrée dans le dernier âge de l'homme, celui de l'être fabricable dans un monde fabriqué. À cet âge, Achille Mbembe donne ici le nom de brutalisme, le grand fardeau de fer de notre époque, le poids des matières brutes.
La transformation de l'humanité en matière et énergie est le projet ultime du brutalisme. En détaillant la monumentalité et le gigantisme d'un tel projet, cet essai plaide en faveur d'une refondation de la communauté des humains en solidarité avec l'ensemble du vivant, qui n'adviendra cependant qu'à condition de réparer ce qui a été brisé.
Les expulsions locatives jettent chaque année en France des milliers de familles pauvres à la rue, dans une indifférence quasi générale. Pourtant, ces procédures sont au coeur de l'accroissement de la pauvreté et des inégalités sociales. Et leur nombre a augmenté au cours des vingt dernières années.
À partir d'une longue enquête de terrain, ce livre s'intéresse aux institutions et aux « petites mains » chargées de réaliser les expulsions. Il décrit la manière dont la violence légitime de l'État s'exerce sur les familles menacées de délogement, en retraçant les différentes étapes auxquelles elles sont confrontées : les services de recouvrement où les employés des bailleurs essaient de leur faire rembourser leur dette, les tribunaux où les juges prennent les décisions d'expulsion, les services de préfecture et de police chargés d'utiliser la force publique pour les déloger de leur domicile. En expliquant pourquoi certaines familles sont plus souvent expulsées que d'autres et comment les agents de l'État les contraignent, à la fois de gré et de force, à quitter leur logement, il met ainsi en lumière une violence légitime moins visible que la répression des manifestations ou que des interpellations policières, mais tout aussi efficace dans le maintien de l'ordre social.
Loin d'être une fatalité, ces expulsions locatives constituent une réalité éminemment politique, qui interroge la place du capital immobilier et de l'État dans la précarisation des classes populaires aujourd'hui. Une réalité contre laquelle il est possible d'agir.
Je implore toi s'il vous plaît dormir couloir. Ces mots, Mirjet ne me les dit pas. Il les écrit en albanais sur l'ordinateur et c'est Google Traduction qui me les dit. C'est plutôt marrant d'habitude, les traductions déformées par le logiciel. Là, ce n'est pas drôle du tout. Mirjet dit avoir dix-sept ans, mais tant qu'il n'est pas reconnu mineur isolé étranger, je ne peux pas lui trouver un hébergement.
Durant un an et demi, Rozenn Le Berre a été chargée d'accueillir de jeunes exilés arrivés en France sans leurs parents. De cette expérience, elle a tiré un récit de haute intensité littéraire où résonnent deux voix. La première, la sienne, est con?née à l'espace de son bureau où se présentent chaque jour des jeunes qui traînent des valises de souvenirs acides, mais que la fureur de vivre maintient debout. La seconde relate le voyage éprouvant de Souley, qui a décidé de faire l'aventure et doit arriver en France avant ses dix-huit ans.
Ce livre nous emmène à la rencontre de jeunes ?lles et garçons malmenés par l'exil et le labyrinthe administratif français, mais qui parviennent petit à petit à se reconstruire, à sourire, à être pénibles et idiots comme des adolescents. À vivre au lieu de survivre.
Sa mère, c'est trop haut, je fais une dépression, là. Comme nous tous, Jordan est épuisé. Au loin apparaît enfin le refuge où nous allons passer la nuit. Nous nous engageons en silence dans un ultime effort, nous qui ne sommes pas des habitués de la randonnée.
Je marche depuis plusieurs jours avec des éducateurs et des jeunes placés dans un foyer de la protection judiciaire de la jeunesse, parfois en alternative à l'incarcération.
Il y a Lyam, le grand taiseux agile comme un chamois, Omar, celui qui rêve de biceps surdimensionnés et d'oublier quelques nuits de sa vie, et Jordan, qui lutte chaque jour pour ne pas s'écrouler.
Arpenter les grands espaces, c'est échapper un temps à ce lieu où ils cohabitent, dans le nord de la France, avec d'autres adolescents. Des jeunes aux vies orageuses, remplies de plus de déceptions, de ruptures et de violences qu'une personne peut absorber en une vie entière. Tous les jours, des éducateurs et éducatrices les aident à ne pas chuter.
D'une écriture précise, fine et sensible, l'autrice propose une plongée en apnée dans un foyer pour adolescents dits délinquants. Et ne nous y trompons pas : ces adolescences sur la crête racontent aussi quelque chose de nous, du passage fragile à l'âge adulte. Et de ce qui se passe quand on dérape en grandissant.
« Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture. » Ainsi commence le fameux pamphlet de Paul Lafargue (1842-1911), Le Droit à la paresse, initialement publié en 1880. Intellectuel socialiste et militant infatigable de la cause du peuple, il signait là un texte pionnier, premier essai en faveur d'un retournement de civilisation, produit heureux d'une volonté de provocation et d'une intuition géniale, d'un authentique sentiment révolutionnaire et anticipateur.
La présente édition reprend celle publiée en 1969 par François Maspero, avec la longue et belle « présentation » de Maurice Dommanget, toujours pertinente aujourd'hui et qui apporte un éclairage indispensable sur la vie et l'oeuvre de Lafargue. Elle est utilement complétée par une préface inédite de l'historien Gilles Candar.