On taxe souvent les romancières contemporaines de langue française d'intimisme, de clôture narrative sur la sphère du privé et du corporel, ou encore de focalisation sur l'affect, le familial et le psychique. Pourtant, que ce soit d'un point de vue textuel, générique, social ou politique, cette réduction de la littérature contemporaine féminine à l'auto-enfermement ne rend pas compte d'un champ créatif beaucoup plus complexe. De fait, les reformulations du genre romanesque et le travail sur la langue fluidifient les frontières symboliques traditionnelles, tandis que les déclassements par le haut ou le bas, les métissages identitaires et les traversées d'espaces géographiques, corporels ou politiques indexent un nomadisme généralisé. Enfin, les tentatives de reconfigurations de pratiques éditoriales et critiques séculairement focalisées sur les productions masculines ou franco-françaises signalent un questionnement des enjeux de pouvoir. Pour mettre au jour l'ensemble de ces déplacements, quatre écrivaines ont proposé des inédits sur leur conception personnelle du nomadisme littéraire : Régine Detambel, Annie Ernaux, Pierrette Fleutiaux et Vénus Khoury-Ghata.
Les entreprises de sauvegarde et de valorisation des archives féministes, en rendant visibles les invisibles, participent au façonnage des mémoires et à la construction présente et future des récits du passé. Cet ouvrage propose de réfléchir, dans un dialogue interdisciplinaire et dans différents pays, à la constitution, la conservation et les usages des fonds féministes et d'éclairer et comparer les conditions d'émergence et de mise en 1/2uvre d'entreprises de consignation des traces, leurs modalités d'organisation, les opportunités politiques et les actrices qui les portent, entre archivage spontané et institutionnalisation, depuis le tournant des années 1968 qui a transformé le rapport aux archives, révolutionné le féminisme et les savoirs universitaires. Il rassemble les contributions de chercheuses, militantes, responsables d'archives, tout·es convaincu·es de la fécondité des archives féministes, mais aussi de leur fragilité et de la difficulté à les circonscrire une fois pour toute. Il donne à voir les réflexions et actions des féministes autour de la conservation des traces, sur les stratégies des associations et militantes, sur les fonctionnements des centres d'archives et le rôle des « archiveuses » ou les liens entre recherche et archives. Il aborde de nombreuses questions sur la définition de la définition des archives féministes, sur les modalités de collecte et de conservation et sur leur place dans la production scientifique.
Qu'est-ce que "se réorienter dans la pensée", se demande Michèle Le Doeuff ? C'est "s'apercevoir qu'on est en train de se promener quelque part avec une carte qui n'est pas la bonne parce qu'on n'a pas pris en compte où l'on était". L'Étude et le Rouet (1989) est le récit d'un tel geste, à savoir reconnaître qu'en condamnant les femmes à n'être qu'un simple objet de réflexion, voire en les excluant de son champ, la philosophie "échoue à tenir sa promesse fondamentale de constituer une rationalité-en-commun". Alors que la réflexion sur la sexualité et le genre s'est trouvée parasitée par les polémiques nées des débats sur le "Mariage pour tous" (2013), il est essentiel de revenir sur certaines des étapes ayant scandé l'histoire de la pensée féministe en France ces dernières années : l'oeuvre de Michèle Le Doeuff constitue l'une de ces étapes. Son réexamen s'inscrit dans la possible généalogie d'une voie française vers les études sur les sexualités et le genre.