Dubravka Ugresic n'est pas seulement l'exceptionnelle romancière que l'on sait. Elle excelle aussi à croquer notre époque d'une plume toujours acérée, tantôt ironique, tantôt furieuse, tantôt amoureuse, lorsqu'il s'agit de rendre compte des ravages de la marchandisation du monde sur la culture, de la mise à l'écart de ceux qui n'ont plus rien à vendre que leurs souvenirs, ou du plaisir de jardiner, de penser que l'on pourrait tout aussi bien vivre heureux ici-bas.
Bref, en 38 vignettes, dont la plus longue n'excède pas 10 pages, voici chantés la beauté et la laideur du monde par l'une de ses observatrices les plus averties, autorisée en quelque sorte par son statut d'exilée à dire des vérités que nous n'apercevons plus qu'à peine.
Après avoir fui la Yougoslavie en guerre au début des années 90, Tania Lusic se retrouve professeur à l'université d'Amsterdam. Elle y enseigne la littérature à de jeunes compatriotes exilés comme elle, la plupart d'entre eux vivant d'expédients, et notamment de la fabrication d'objets SM pour le compte du " Ministère de la douleur ", un sex-shop bien connu dans la capitale des Pays-Bas.
Soucieuse d'éviter que ses étudiants serbes, croates et bosniaques ne laissent libre cours, dans la salle de cours, aux passions identitaires qui ont présidé à leur exil, Tania renonce bientôt aux devoirs de sa charge académique au profit d'un travail de groupe au cours duquel chacun est invité à témoigner de son expérience personnelle des souffrances liées à la guerre. Mais loin d'aboutir à ses fins, Tania se retrouve bientôt prise dans une spirale de violence qui la mènera à subir les pires humiliations, ce dont elle s'accommodera finalement dans la jouissance de son destin d'exilée.
Un roman sans concession, provocant à bien des égards, jouant aussi bien de la critique d'un certain cynisme occidental que de la découverte de l'impasse à laquelle conduit immanquablement la fidélité à ses origines en terre d'exil.