Cette édition rassemble sept ensembles de poèmes de Christian Dotremont, d'Ancienne éternité, texte éblouissant écrit en 1940 à seulement 17 ans et qui le fera intégrer immédiatement les groupes surréalistes belges puis français, jusqu'à Les trois forêts, écrit au sanatorium d'Eupen en 1953 où il soignait sa tuberculose. Ces poèmes, la plupart écrit sous la forme « dialogique » si particulière à Dotremont, dans laquelle questions et réponses se confondent, filent dans une oralité joyeuse, où l'évocation féminine est une amulette et l'amour une magie. Prestidigitateur du langage, Dotremont suit à la fois une silhouette qui s'échappe et le fil de ses pensées, par-delà les villages, par delà les forêts bavardes, au coin d'une rue floue : réinvoquant d'une main ce qui a disparu sous l'autre, échafaudant sur un fil des associations d'idées fulgurantes, sans jamais tomber. Des hommes brisés qui se recollent, des vêtements empruntés au bonheur, des enfances attachées aux réverbères, des rafales de vies, des fleurs de cimetière ; un ensemble de mots de passe pour ouvrir le présent, de combinaisons pour ouvrir le coffre des choses perdues. Christian Dotremont prend la « mort légère et tiède » dans sa main, et lui raconte des histoires, des histoires infinies à la poursuite du bonheur, dresse entre elle et lui des illusions de poèmes, des jeux aériens, des incendies sous la neige. Il détourne son attention au fil de dialogues où il parle à son ombre, répond à ses propres questions, change de masque entre rire et grimace, comme les grands magiciens savent détourner notre regard vers l'invisible, avant de « s'écrouler sous les applaudissements de la vie ».
«J'avais dormi à l'hôtel du Chemin de Fer. J'avais fait ce que j'avais pu, j'avais couru et marché, j'avais dormi, j'avais écrit et lu, j'avais eu des contacts avec les femmes, l'histoire, j'avais même été communiste, l'art, la culture. Tout ça pour en arriver à se coucher. [...] Je comprenais ainsi pourquoi elle s'était finalement attachée à moi : parce que je lui offrais et l'aventure et l'organisation, et l'instabilité et la stabilité, la stabilité du mari et l'instabilité de l'amour, l'oreiller et la pierre.»
Christian Dotremont est mort en 1979. Né en 1922 en Belgique, il fut avec Asger Jorn et Karel Appel l'un des fondateurs du groupe d'artistes COBRA. Il se rendit célèbre comme créateur des fameux « logogrammes », textes dessinés « dans une intime interaction spontanée de l'imagination verbale et du bouleversement graphique de l'alphabet ». Pierre Alechinsky, qui fut son ami et un participant du groupe COBRA, a écrit un important portrait inédit de cet artiste inclassable, fécond et totalement original.
Outre un choix de ses oeuvres, l'ouvrage propose des documents introuvables, et notamment les bouleversantes photographies prises par Alechinsky de Christian Dotremont, dans la pension de vieillards où ce dernier s'enferma volontairement les dix dernières années de sa vie. « J'écris pour voir » s'inscrit dans la collection des Cahiers dessinés comme une première approche des rapports complexes entre l'écriture et le dessin. Ce livre sera présenté dans plusieurs musées, en Belgique, en France, en Suisse et au Québec où il servira de catalogue officiel. Les oeuvres poétiques complètes de Christian Dotremont ont été publiées en 1998 au Mercure de France, préfacées par Yves Bonnefoy.
Bruxelles, mars 1949 : dans les combles du Palais des Beaux-Arts " où pas un chat ne vient ", Pierre Alechinsky, 21 ans, rencontre Christian Dotremont qui assure le " gardiennage " de la première exposition CoBrA. Le groupe existe depuis quelques mois : soudaine et formidable ouverture pour le jeune artiste, et le début d'une féconde amitié de trente ans. Dotremont (1922-1979) est l'inventeur de l'acronyme (Copenhague-Bruxelles-Amsterdam), le coordonnateur et la plume de CoBrA, avant, pendant (1948-1951) et après. Outre un roman, La Pierre et l'Oreiller (Gallimard), oeuvres poétiques complètes (Le Mercure de France), les textes critiques et bien sûr ses " peintures-mots " et logogrammes, il écrit, de 1953 à 1978, dix textes sur le travail d'Alechinsky : ses peintures, dessins, son film Calligraphie japonaise, ses expériences à deux pinceaux avec Walasse Ting, Karel Appel, etc. Ces textes sont réunis ici pour la première fois, y compris un important inédit de 1957. On y retrouve à chaque page le culot, l'acuité, le sens du contre-pied, la justesse d'observation, la feinte désinvolture, le phrasé qui font la force intacte de la prose de Dotremont.